David Caméo : Institution publique et équilibre financier

Compte rendu intervention / par Clément Thibault

« Institution publique & équilibre financier », rencontre avec David Caméo au dîner débat d’AMA

Le 22 juin 2015 s’est tenu au Club de la Chasse et de la Nature le dernier dîner débat d’AMA de la saison 2014-2015. Son invité était David Caméo, actuel directeur du Musée des Arts décoratifs.

Avant ce mandat, David Caméo a été directeur général de la Cité de la céramique Sèvres & Limoge, conseiller culturel au cabinet de l’ex-Premier ministre Lionel Jospin ou encore chef de service à la Délégation aux arts plastiques. Un parcours pluridisciplinaire faisant de ce haut fonctionnaire d’État un interlocuteur de choix afin d’évoquer l’épineuse question du financement des institutions publiques, notamment en France.

En premier lieu, David Caméo a tenu à rappeler le contexte dans lequel s’inscrit sa réflexion. En France, la culture est largement financée par les collectivités territoriales. Cependant, les établissements publics relèvent du Ministère de la Culture et de la Communication (MCC). L’Hexagone compte plus de 80 établissements publics aux profils très variés : si la plupart sont des EPA (établissements publics à caractère administratif, 58), ils peuvent également être des EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial, 18), voire des associations (5), à l’instar des Arts décoratifs ou même des sociétés commerciales avec tutelle de l’État, comme le Palais de Tokyo.

Les établissements publics représentent 34 % du budget du MCC, soit 1 milliard d’euros. La sauvegarde de ce budget est aujourd’hui menacée. David Caméo le rappelle, non sans ironie : « Ce milliard est préservé, mais menacé par le Grand Méchant Loup qu’est Bercy. » Plus précisément : « La dégradation économique frappe aussi le MCC. Les budgets ne sont pas complètement réduits, mais pas loin de l’être. Surtout, il se rajoute chaque année de nouveaux projets et développements, qui ont aussi des coûts structurels. »

Le climat actuel a effectivement poussé l’État français à durcir sa gestion, notamment par le biais de la RGPP (Révision générale des politiques publiques). Si cette réforme a permis d’alléger la complexe machine culturelle française, en passant de treize à trois directions générales, sa claire volonté de coupe budgétaire fait frémir les directeurs d’institutions. La RGPP a amené « une rationalité à la fois économique et structurelle qui parfois est critiquable et critiquée, mais qui a le mérite de donner un peu plus de lecture et d’opérationnalité au Ministère de la Culture ».

Face à tous ces enjeux, quelles possibilités s’offrent aux institutions afin d’assurer leur financement ? La première est évidemment la croissance des recettes propres, passant par l’augmentation du prix des billets — qui pose cependant la question de l’accessibilité à la culture —, le développement de concessions ou la monétisation de l’ingénierie culturelle — comme ce fut le cas avec les Arts décoratifs lors de l’exposition Van Cleef & Arpels. En second lieu, David Caméo préconise de ne pas bouder les économies budgétaires : « Depuis la pluie d’argent des années 1980, la situation s‘est progressivement détériorée. Aujourd’hui, les institutions publiques se doivent de mettre en place des stratégies économiques plus rationnelles. Cela appelle surtout à l’inventivité. » Une solution réside également dans l’organisation d’expositions plus en lien avec la demande populaire. La réussite de l’exposition Jean-Paul Gauthier par RMN témoigne de ce point : créer des « blockbusters » pour financer des projets plus pointus. Enfin, le haut fonctionnaire appelle à la création de synergies, notamment entre les musées et les écoles, voire les entreprises, pouvant offrir de nouveaux relais de croissance sur le long terme.

Selon David Caméo, la mutation en cours est fondamentale : « Aujourd’hui, un directeur de musée est avant tout un entrepreneur. Cette logique, bien que nouvelle, est indispensable pour préparer les enjeux présents et à venir. » Ce changement de paradigme a deux maîtres mots : « créativité et réactivité. »

Ces problématiques posent également la question du mécénat, « déterminant et essentiel » selon David Caméo. Le mécénat représente peut-être la plus grande différence entre les modèles français et américain. Aux États-Unis, le financement des institutions est largement assuré par le privé — bien que ce système donne droit à des compensations fiscales, donc un financement fédéral déguisé. Les places aux « boards » des institutions prestigieuses sont généralement octroyées aux plus grands mécènes. En France, le mécénat est moins développé, malgré la tentative de généralisation offerte par la loi Aillagon, adoptée en 2003. Culturellement, il est encore ressenti comme un conflit d’intérêts entre le conservateur et le mécène. Contre cette idée, David Caméo proteste : « Le mécénat repose sur l’éthique. On ne se sert pas des institutions culturelles comme on l’entend. La stratégie et le corpus scientifiques restent aux mains des institutions, même s’il dit y avoir dialogue.»

La séance de questions-réponses a permis de faire émerger quelques problématiques, notamment celle de l’acquisition de biens culturels par les institutions. Effectivement, les crédits d’acquisition alloués par l’État sont trop faible pour permettre aux musées de rivaliser :«Les crédits d’acquisition de l’État, notamment dans le cas de l’art moderne, ne permettent même plus d’acheter une lithographie d’un artiste reconnu ! » David Caméo a ainsi proposé quelques pistes de réflexion et souligné son espoir en la dation ou les fonds de dotation.

Le débat sur l’acquisition a naturellement soulevé celui de l’inaliénabilité des collections d’États — une seconde différence majeure avec les États-Unis. Selon David Caméo, il est nécessaire de remettre en question ce principe, parfois sclérosant. Les immenses collections actuelles créent d’importants coûts de stockage et de conservation, pour des intérêts artistiques parfois moindres.

La conclusion du dîner ne fut pas moins passionnée, David Caméo exhortant l’État à favoriser l’éducation artistique : « elle doit absolument devenir un choix politique » afin de renouveler les publics, permettre l’émergence de nouveaux métiers, créer des vocations et… tout simplement faire vivre l’économie et le tourisme.