André Magnin : Il paraît que l’art contemporain africain est à la mode…

Compte rendu intervention / par Clément Thibault

Le dernier dîner-débat Art Media Agency de la saison 2015-2016 mettait à l’honneur André Magnin, spécialiste réputé de l’art africain, invité à converser autour du thème « Il parait que l’art africain est à la mode… ».

Des cheveux blancs en bataille, un air malicieux caché derrière des lunettes rondes transparentes, un air — à dessein ? — distrait, un style cultivant le négligé chic. André Magnin est un baroudeur qui a traversé l’Afrique de part en part. Il en a gardé un esprit libre, un brin provocateur que l’on retrouve déjà dans le titre qu’il a souhaité donner à l’évènement : « Il parait que l’art africain est à la mode… »

Pour lui, cela fait déjà longtemps que l’art africain est à la mode, peut-être depuis son enfance passée à Madagascar ? Assurément depuis qu’il a commencé à arpenter le continent au milieu des années 1980 — ainsi que la Papouasie et le « Grand Nord » — à la recherche de nouveaux artistes pour l’exposition « Les Magiciens de la Terre » qu’il organisait aux côté de Jean-Hubert Martin. L’exposition a été présentée en 1989, conjointement au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette. C’était la première du genre à s’intéresser réellement aux arts non occidentaux.

Des magiciens de la Terre à la CAAC

Mais rétrospectivement, le basculement opère quand André Magnin devient directeur artistique de la « Contemporary African Art Collection » (CAAC), collection privée de l’investisseur italien Jean Pigozzi qui s’est imposée en deux décennies comme une référence dans le monde de l’art. Cette collection, qui flirte avec les 12.000 pièces, c’est André Magnin qui l’a créée, peu ou prou.

Rassembler les oeuvres était une chose, encore fallait-il les montrer, les faire connaître. Ce à quoi s’est attaché André Magnin de 1989 à 2009 avec « des centaines de prêts » et près de cinquante expositions dans les institutions du monde entier, notamment la Fondation Cartier à Paris, « dont il faut reconnaître l’intérêt pour les autres cultures ». Au final, la CAAC est parvenue à faire connaître une « trentaine d’artistes de par le monde, dont Seydou Keïta, Malick Sidibé ou Chéri Samba. »

C’est ainsi qu’André Magnin a passé près de trente ans à arpenter le continent. « L’Afrique m’a construit, m’a déconstruit, m’a reconstruit. Aller vers l’autre implique le doute », souffle-t-il, avant d’ajouter : « Je pense avoir contribué à construire le marché d’une trentaine d’artistes que j’aime. »

Fort de ces pérégrinations à travers le monde, c’est à Paris qu’André Magnin a ouvert avec Philippe Boutté sa propre galerie en 2009 dans le but d’ajouter une nouvelle page à cette belle l’histoire : la promotion de l’art contemporain non occidental et tout particulièrement africain.

L’art africain contemporain

Mais c’est quoi cet « art africain à la mode » ? Impossible de réduire un continent aussi complexe à une pseudo-identité africaine. « L’Afrique, c’est 54 pays et autant d’identités, de cultures, de croyances ; donc d’artistes. »

En risquant la généralisation, André Magnin souligne tout de même « un art libre, qui ne se mord pas la queue comme en Occident », tout en évoquant les changementsapportés par Internet. C’est bien connu, Internet a plutôt tendance à linéariser les cultures qu’à les diversifier. Or, Internet et les réseaux sociaux ont bien pris sur le continent, amenant les artistes à partager massivement leur travail et accéder plus vite à la reconnaissance — en tout cas à être visible. Une mutation qui n’est pas dénuée de bienfaits, notamment pour la constitution d’une nouvelle scène artistique, maisqui comporte aussi son lot d’effets pervers.

« Avant les artistes construisaient leur oeuvre sur le temps long », explique André Magnin, prenant pour exemple Frédéric Bruly Bouabré, intellectuel éclairé, dessinateur et poète, également à l’origine d’un alphabet pour sauver de l’oubli la culture du peuple bété — et longtemps ignoré en Occident si ce n’est par Théodore Monod. « Aujourd’hui, avec trois coups de pinceau, certains se déclarent peintres. »

Complexe reconnaissance

Et André Magnin de poursuivre : « Les grands artistes inventent, l’art ne relève pas que d’une question de savoir-faire ou de style. » Justement, il a découvert « en Afrique des artistes complètement en dehors de nos tropes qui ont créé des choses nouvelles. » Une grammaire inconnue qui n’a peut-être pas favorisé la reconnaissance de l’ « art africain », si l’on peut l’appeler ainsi. « Jusque dans les années 2000, il n’y avait rien ! Ou si peu… »

Effectivement, les manifestations dédiées relevaient plutôt de l’épiphénomène au XXe siècle, malgré quelques réalisations à l’instar du Festival mondial des arts nègres en 1966 à l’initiative de la revue Présence Africaine et de la Société africaine de culture, ou la première édition de la biennale de Dakar en 1990. En Occident, André Magnin souligne volontiers l’impact de Pierre Gaudibert, conservateur au Musée d’art moderne de la Ville de Paris puis responsable du Musée des arts africains et océaniens de Paris, et auteur du livre L’art africain contemporain, pionnier dans la reconnaissance de l’art africain contemporain.

Passé le nouveau millénaire, les choses se sont accélérées. D’abord du fait d’initiatives privées qui ont fleuri sur le continent et apporté un dynamisme notable aux scènes émergentes. Parmi elles, la fondation Zinsou, créée par Marie-Cécile Zinsou à Cotonou (Bénin) en 2005, la fondation Nubuke créée sous l’impulsion de Nubuke Investments à Accra (Ghana) en 2006 ou bien la fondation Donwahi lancée en 2008 à Abidjan par Illa Donwahi — femme du défunt Charles Bauza Donwahi.En outre, on compte aujourd’hui une quinzaine de biennales en Afrique, alors qu’il n’y avait que Dakar dans les années 1990.

En Occident, des foires spécialisées ont vu le jour à l’instar d’1: 54 — du 6 au 9 octobre 2016 à Londres et en mai 2017 à New York — ou AKAA, dont la première édition se tiendra à Paris du 11 au 13 novembre 2016. « En Europe et aux États-Unis, il y a maintenant quantité de collectionneurs qui achètent de l’art africain. »

Abonnant la provocation du début du dîner, André Magnin le concluait en déclarant : « On remarque un intérêt grandissant pour l’Afrique, loin d’une mode. Inévitablement, c’est le continent de l’avenir. »